Santé et Médecine

Biomimétisme et innovations en santé : les solutions sont dans la nature

Alors que la recherche et le développement nécessitent des centaines de milliards de dollars par an dans le monde, la communauté scientifique a enfin compris que s’inspirer de ce que la nature a déjà inventé peut s’avérer être un coup de génie mêlant efficacité et respect de l’environnement. Cette manoeuvre consiste à adapter les solutions innovantes qui ont émergé de façon naturelle à travers le temps et peut être appliqué avec succès dans de nombreux domaines, incluant les innovations en santé.

Quelques exemples concrets de biomimétisme appliqués à la santé et à la médecine.

1) La peau des requins, un répulsif bactérien.

peau des requins
La peau des requins est formée de denticules qui empêchent les bactéries de s’accrocher

Les premiers requins ont fait leur apparition il y a un peu plus de 400 millions d’années et subsistent toujours de nos jours, preuve que certaines de leurs caractéristiques évolutives ont été des succès dans le grand jeu de l’innovation de la vie et de la sélection naturelle. Par exemple, la peau des requins est formée de denticules dont la forme et l’agencement créent une surface instable et empêchent les bactéries et les parasites de pouvoir se fixer. C’est en quelque sorte un répulsif bactérien naturel. Mais peut-on s’en inspirer et appliquer cette innovation évolutive au domaine de la médecine et de la santé ? En étudiant au microscope la peau des requins, des chercheurs ont eu l’idée de copier celle-ci afin d’adapter l’innovation de la nature au domaine médical. Imaginez des murs d’hôpitaux enduits d’un revêtement qui peut réduire de 80 % la prolifération des bactéries. Une société américaine s’est inspirée de cette spécificité pour fabriquer un revêtement antibactérien destiné à être utilisé dans des lieux qui, par nécessité, doivent être le plus stérile possible comme les hôpitaux par exemple. Cette technologie permet de diminuer fortement voire d’arrêter totalement l’usage de produits antibactériens pour nettoyer les surfaces. Ceci diminuerait aussi grandement les risques de contracter des maladies lors de séjours hospitaliers. Alors que les requins portent encore une mauvaise réputation aux yeux de beaucoup de monde du fait de leurs talents de prédateur, les spécialistes en biomimétisme pensent que nous devrions voir ces animaux là comme de grands enseignants.

 

requin bactéries
La peau des requins

2) Un organisme marin peut produire une substance adhésive capable de réparer des fractures osseuses.

Le Phragmatopoma californica, une espèce de ver marin, vit dans un tube fait de sable et de fragments de coquillages qu’il agglomère grâce à une substance adhésive qu’il sécrète.

Phragmatopoma californica
Photographie d’un Phragmatopoma Californica

Cette colle a l’avantage de ne pas se dissoudre dans l’eau et de se solidifier rapidement. Quel est le rapport avec la santé ? Les fractures multiples. En effet, lorsqu’une fracture est nette, l’os peut être remis en place et immobilisé par un plâtre (technique couramment utilisée aujourd’hui). Mais, avec une fracture multiple (quand l’os est brisé en plusieurs fragments), le problème est plus complexe, il est très difficile de recoller les petits fragments d’os et la guérison est très longue. Des chercheurs ont donc copié la technique utilisée par ce ver marin et l’ont même améliorée en créant une colle deux fois plus efficace, biodégradable et non toxique.

En analysant cette colle, une équipe a découvert qu’elle était composée de protéines chargées positivement et négativement ainsi que d’une importante quantité d’ions calcium et magnésium. Cette combinaison produit une substance qui, dans certaines conditions, lie si étroitement les protéines que les molécules d’eau sont chassées. Dans la glande du ver où elle est produite, la colle reste liquide car le milieu est légèrement acide. Mais une fois sécrétée dans l’eau de mer, dont le pH est plutôt basique, elle se solidifie. Elle forme une mousse qui, au bout de plusieurs heures, se transforme en une matière à la fois solide et souple. Après avoir élucidé ce processus, l’équipe de chercheurs a reproduit cet exploit de manière artificielle en remplaçant les protéines produites par le ver par deux polymères synthétiques (définition d’un polymère: substance organique ou semi-organique caractérisée par la répétition d’un ou plusieurs types de motifs monomères). L’adhésif qu’ils ont obtenu colle des fragments d’os plongés dans l’eau et sa capacité de fixation est double de celle de la substance du ver marin. Cette colle serait non toxique, biodégradable et pourrait être éliminée naturellement au cours de la guérison. Preuve encore une fois de la performance du vivant.

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La Superglue de mer, image de microscope à balayage électronique réalisée par Russell Stewart, qui montre deux perles en vers qui ont été collées ensemble par le ver marin

3) Le poulpe inspire un futur robot médical

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La poulpe est une source d’inspiration pour le domaine médical

Un robot chirurgical qui se plie, s’étire et se faufile, comme le bras d’une pieuvre : tel est le prototype imaginé et présenté par des scientifiques. Ce robot est un bras robotisé, spécialement conçu pour la chirurgie mini-invasive (procédures chirurgicales conçues pour minimaliser la gêne des patients et le temps de rétablissement). Il est également capable de manipuler des organes mous sans les endommager. Ce robot peut s’avérer très efficace et pourrait révolutionner le domaine chirurgical.

Comme l’octopode, le robot peut faire varier la rigidité de son bras. D’outil rigide, il peut se transformer en outil flexible, un avantage certain par rapport aux instruments chirurgicaux traditionnels. Ce dispositif pourrait réduire le nombre d’instruments nécessaires pour une intervention du fait de sa polyvalence et donc le nombre d’incisions sur le corps d’un patient. Une opération chirurgicale nécessite souvent l’utilisation de plusieurs instruments tels que des pinces, des enrouleurs, des systèmes de vision et des dissecteurs. Ce robot est le premier pas vers la création d’un instrument unique capable d’effectuer toutes ces tâches tout en sécurisant les organes.

Le « bras-pieuvre » est composé de deux modules identiques connectés entre eux. Ils sont divisés en trois chambres cylindriques que l’on peut diriger séparément. La pieuvre n’a pas de squelette rigide et adapte la forme de son corps à son environnement. L’objectif est de permettre à la chirurgie d’accéder à des parties exiguës de l’abdomen ou d’autres parties du corps.

le bras pieuvre
Le « bras pieuvre »

Des tests expérimentaux montrent que le bras du robot peut se plier jusqu’à un angle de 255 degrés et s’étirer jusqu’à 62 % de sa longueur initiale. Sa rigidité peut augmenter de 60 à 200 %. Des simulations d’opérations, avec des ballons remplis d’eau pour représenter les organes du corps humain, démontrent que le robot est capable de manipuler des organes tout en opérant. D’autres chercheurs en robotique chirurgicale se sont déjà inspirés du monde animal, et ont créé des machines imitant par exemple le serpent ou la trompe de l’éléphant mais nous avons choisi le «  bras pieuvre » dans notre étude. Pour conclure, ce robot chirurgical inspiré du poulpe pourrait effectuer plusieurs tâches en même temps tout en assurant efficacité et ingéniosité, cela est possible grâce au génie de ce souple animal marin.

Vidéo sur la souplesse du poulpe 

4) La soie d’araignée, matériau du futur pour la médecine

Présente dans tout l’hémisphère Sud, la femelle Nephila Clavipes tisse d’immenses toiles qui valent de l’or. La toile d’une femelle adulte peut atteindre un mètre de large, avec des filaments dorés qui apparaissant comme des fils d’or au soleil. Légère, étonnamment élastique et flexible tout en étant plus résistante que l’acier ou le nylon, la soie naturelle de cet arachnide amortit considérablement les forces de torsion et possède aussi une mémoire de forme, c’est en clair un matériau de génie.

Photographies de femelles Nephila Clavipes

Biocompatible et biodégradable la soie naturelle de la Nephila Edulis n’engendre ni rejet, ni inflammation. C’est un matériau qui attire beaucoup l’attention de l’ingénierie biomédicale. La soie est parfaitement adaptée dans la réparation des tendons, car elle est très résistante, mais aussi suffisamment extensible pour maintenir la mobilité articulaire. Elle est aussi potentiellement utile comme maintien pour les tissus en croissance, comme pour aider dans la réparation des os, les pansements et dans les sutures. Elle favoriserait la cicatrisation des plaies et pourrait servir de guide pour la régénération de peau, de cartilage et de cellules nerveuses. Des tests  cliniques sont envisagés prochainement. Les étonnantes propriétés de la soie d’araignée sont très désirées par les industriels. Néanmoins le cannibalisme pratiqué par certaines espèces complique grandement l’élevage intensif et exclut la production naturelle à grande échelle. Des spécialistes rivalisent donc d’ingéniosité pour tenter de reproduire ces qualités de manière biosynthétique.

schema de la fabrication du fil de soie.png

Les fibres obtenues synthétiquement pourraient servir en médecine, mais aussi à la fabrication de vêtements et d’accessoires sportifs, de pièces d’automobiles, de films transparents, de revêtements, d’adhésifs et de gels. Un nouveau marché à fort potentiel pourrait voir le jour et prévoit la commercialisation d’une gamme de produits destinés à l’industrie cosmétique et à la fabrication de produits médicaux comme des prothèses mammaires. Le fil de soie pourrait amener aussi à l’élaboration de matériaux de construction et de protection contre les explosions ainsi que des gilets pare-balles. 

La soie naturelle possède de nombreuses propriétés idéales à la fabrication de produits médicaux ou de protection tous liés par l’innovation biomimétique. Voici encore une des nombreuses innovations du vivant qui, selon la communauté scientifique, pourrait être utilisé à bon escient et pourrait révolutionner le domaine médical.